Chroniques

par laurent bergnach

Helmut Lachenmann – Luigi Nono
Reigen seliger Geister – Fragmente-Stille, an Diotima

1 CD Assai (2004)
222492
Lachenmann – Nono | quatuors à cordes

La composition de son second quatuor à cordes fut pourHelmut Lachenmann (né à Stuttgart en 1935) un véritable défi. Suite à une commande qui l'invitait à célébrer le Bicentenaire de la Révolution française, il décida de revenir à un effectif dont il pensait avoir fait le tour. À Gran Torso, son premier quatuor créé à Brême le 6 mai 1972, succéda donc Reigen seliger Geister, joué pour la première fois à Genève, le 28 septembre 1989. L'œuvre – dont le titre se réfère à une musique de ballet composée par Gluck pour Orfeo ed Euridice (Ronde des Esprits bienheureux) – est bâtie sur la recherche de la différence, voire de l'opposition, afin d'échapper au savoir-faire parfois emprisonnant du métier de compositeur. Lachenmann commente :

« Mon échappée se fit à travers une focalisation radicale sur le son flautato (il apparaît plutôt épisodiquement dans le premier quatuor), qui représente déjà en lui-même, en tant que pression fugitive, tel un souffle, de l'archet sur des cordes seulement pressés à moitié, comme l'ombre de la sonorité pleine et emphatique des cordes. À travers toutes sortes de démultiplications et d'agrandissements dynamiques des éléments ainsi isolés, ainsi que de transformations continues, j'aboutis au type sonore diamétralement opposé, celui du pizzicato ».

La fin, surtout, laisse entendre cette « sorte de guitare complexe à seize cordes » en quoi le compositeur allemand a transformé les quatre instruments de l'ensemble. Critique envers la composition traditionnelle, ennemi vigilant du « son philharmonique », Lachenmann invite à une aventure sonore qui nécessite une écoute attentive des sons caressants émergeant du silence. Si l'on sait être curieux et patient pour apprivoiser cet univers, on est vite récompensé.

Autre compositeur au programme : Luigi Nono (1924-1990), qui fut professeur du précédent. Fragmente-Stille, an Diotima (1980), dédiée au Quatuor LaSalle, fut crée au Festival Beethoven de Bonn. Comme précédemment, les silences relient des fragments musicaux souvent ténus, obligeant à la concentration. L'abondance de césures et de points d'orgue renforce l'impression d'un ordre métrique qui se cherche et se forme progressivement – d'où une sensation de tension et d'inquiétude qui croît en fin de première partie. Certains commentateurs ont été déstabilisés par cette musique introvertie, qui semblait s'opposer au discours politique auquel les avait habitué le créateur depuis les années cinquante :

« Loin de s'être arrêté, explique Lachenmann, Nono a développé et transformé sa technique dans toutes les directions. Mais son développement, au lieu de s'orienter vers des problèmes fictifs théoriques, s'est laissé guider par les critères d'intensité directe et de clarté sans équivoque de son engagement ». Destinés à habiter le chant intérieur des interprètes, cinquante-deux extraits de poèmes de Hölderlin parsèment la partition mais ne seront en aucun cas communiqués au public sous forme de parole.

Le Quatuor Diotima – du nom même de l'œuvre célèbre ici présente – s'est engagé depuis sa formation à défendre le répertoire du XXe siècle (Carter, Ferneyhough, etc.), sans oublier les œuvres phares traditionnelles (Haydn, Schumann, Dvořák, etc.). Franck Chevalier (alto), Pierre Morlet (violoncelle),Eiichi Chijiwa et Nicolas Miribel (violon) font preuve d'une concentration et d'une précision qui contribuent à la qualité de ce bel enregistrement.

LB