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Chroniques
Richard Strauss
Salome | Salomé
Si Parsifal (1882) – festival scénique sacré (Bühnenweihfestspiel) avec lequel Wagner fait ses adieux au théâtre – signe la fin du XIXe siècle, on doit à Richard Strauss la défloration du suivant, avec Salome (1905) et Elektra (1909). Lors de la création à la Hofoper de Dresde, le 9 décembre 1905, on a beaucoup décrié l’opus 54 du Viennois, écrit entre juillet 1903 et août 1905 à partir du livret d’Hedwig Lachmann adaptant l’œuvre éponyme d’Oscar Wilde écrite en français, elle-même inspirée par les Évangiles de Marc et Matthieu. L’ouvrage en un acte choque non seulement par ses thèmes sulfureux (désir sexuel, inceste, nécrophilie, homoérotisme) mais par sa musique raffinée et puissante, d’une rare sensualité. Connaissant bien les possibilités du grand orchestre postromantique – Don Juan (1889), Till Eulenspiegel (1895), etc. [lire notre critique du CD] –, Strauss ne peut mener le public sur des chemins arides, lui qui conseille de diriger ces deux paliers menant bientôt à Rosenkavalier (1911) « comme s’ils étaient de Mendelssohn : de la musique de fée ». L’histoire finit d’ailleurs bien, puisque, d’un coup de baguette magique, le scandale se change en triomphe.
On retrouve Nikolaus Lehnhoff, un fidèle de Baden-Baden, aux commandes de cette production filmée à la Festspielhaus, en juin 2011 – il y avait mis en scène Lohengrin en 2006 [lire notre critique du DVD] et repris son Tristan und Isolde de Glyndebourne, l’année suivante [lire notre chronique du 27 septembre 2007]. Fruit d’une société morbide en complète déliquescence, l’héroïne de Strauss est pour lui en quête de sa propre identité.« Son destin bascule lorsqu’elle rencontre Jochanaan, ce qui provoque en elle un choc existentiel. […] Salomé est fascinée par cet inconnu, par son étrangeté et par son discours dont elle ne parvient pourtant pas à saisir toute la portée. Sa transformation est motivée par le désir physique qu’elle éprouve pour cet homme insondable. Lorsqu’elle se met à danser, Salomé semble se libérer de tous les carcans de sa vie ». La mutation du rôle-titre a lieu sur un espace laqué qui réfléchit le ciel, dans un palais que la ruine menace. La présence athlétique d’un bourreau demi-nu rappelle, sans l’égaler, la vision de McVicar [lire notre critique du DVD].
Pour incarner l’adolescente de la famille des Kundry et Lulu, il faut l’endurance et la puissance d’un vrai soprano dramatique. Hélas, si Angela Denoke interprète subtilement une gamine intriguée dont la danse semble improvisée « au pied du mur », sa voix chaude et légère finit par plafonner et fatiguer – quand certaines notes ne sont pas simplement loupées. C’est une déception. Doris Soffel (Herodias), elle, ne manque pas d’ampleur, tandis que Kim Begley (Herodes) se montre clair, vif et incisif. Plein de compassion pour la malheureuse qu’il enlace un court instant avant de disparaître, Alan Held (Jochanaan) possède une certaine aura mais aussi un vibrato encombrant. Parmi le reste de la distribution, citons Marcel Reijans (Narraboth) pour sa puissance et sa brillance, ainsi que David Jerusalem (Premier Soldat), sonore et présent.
« Je souhaitais caractériser les personnages avec précision, et c’est ce qui m’a amené à la bitonalité », déclare Strauss qui recommande, près de trente ans plus tard : « on peut l’accepter en tant qu’expérience unique sur un sujet particulier, mais il est déconseillé de l’imiter ». À la tête du Deutsches Sinfonieorchester Berlin (bois suaves, cordes soyeuses), Stefan Soltesz fait honneur à la volupté de la partition – notamment par un relief accordé aux détails – tout en étant abrupt quand il le faut.
LB